Elisabeth Font-Thiney

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Crises, restructurations et santé

Le suicide en milieu du travail

Peut on parler de son travail

Les conflits en milieu professionnel

Cas de restructuration

HM de gestion à l'occasion d'une restructuration.

Les conséquences en terme de santé.

Je vais essayer à travers cette communication de vous présenter les conséquences santé d'une restructuration au cours de laquelle les salariés ont été à la fois privés de travail et soumis à des méthodes de gestion déstructurantes.

Fin 1996 l'entreprise décide la délocalisation d'une partie de son activité; 160 personnes sont concernées sur les 500 que comporte le site. Un 1/3 du personnel acceptera d'être muté, 1/3 quittera l'entreprise, 1/3 restera sur le site.

Nous nous sommes intéressés à ces 50 salariés dont la moyenne d'âge est de 48 ans , l'ancienneté moyenne de 20 ans et qui sont majoritairement peu qualifiés. Nous les avons suivi pendant les 4 années qui se sont écoulées entre l'annonce de la délocalisation et les derniers licenciements.

après quelques mois de bataille juridique, l'activité est transférée et 50 salariés se retrouvent sans travail dans des locaux vides, vides de machines, vides de leurs "collègues disparus" comme ils disent et comme en attestent les noms restés inscrits à l'entrée des bureaux.

Une cellule de reclassement est mise en place et des entretiens individuels sont programmés avec la DRH. Les salariés dénoncent la violence des entretiens et les méthodes déstabilisantes, individualisantes qui sont déployées au cours de ces rencontres

Astreints à être présents, bien que privés de travail, les salariés sont confrontés à l'inutilité, l'ennui, l'oisiveté, ils disent leur peur de n'être plus bons à rien, de n'être plus rien, ils évoquent aussi leur difficulté à penser, à agir . De fait nous observons la pauvreté des activités physiques ou intellectuelles qui sont développées pour "passer le temps".

On constate que si certains sont animés de sentiments de révolte, d'injustice, de colère, nombre d'entre eux sont dans un déni total de réalité.

Ceci ne sera pas sans effet sur la construction de stratégies défensives qui mettront plusieurs mois avant de pouvoir se collectiviser.

Sur le plan médical les demandes de consultation sont nombreuses, et il nous est donné très tôt d'observer des manifestations psychosomatiques ainsi que des comportements défensifs à type de conduites addictives, de repli ou de fuite, de conduites agressives, de violence parfois.

Tous présentent des troubles du sommeil.
A l'issue de cette période 10 salariés seront reclassés sur le site.

Après négociation, les salariés sont autorisés à rester chez eux mais ont l'obligation de se rendre une fois par semaine aux réunions organisées par la cellule de reclassement, des réunions qualifiées de harcelantes, violentes, manipulatoires

Ces rencontres sont malgré tout pour eux l'occasion de maintenir et renforcer leur solidarité face à une épreuve commune.

A cette période apparaissent sous des formes parfois inhabituelles, voire paradoxales des symptômes qui témoignent d'une réelle crise identitaire avec son cortège de manifestations anxieuses, dépressives, de dépréciation, de non sens, d'indignité.

En accord avec l'IUMT, le psychiatre qui assure la consultation de psychopathologie du travail , recevra les 15 salariés qui en formuleront la demande.

Ces consultations, sur plusieurs mois, ont eu un effet thérapeutique bénéfique d'une part du fait de l'apport du soutient psychothérapeutique mais aussi par l'occasion qui leur était ainsi donnée de témoigner publiquement de leur histoire et de constater que leur parole pouvait bénéficier d'un crédit social.

Le psychiatre attestera que 12 salariés sur les 15 présentent les symptômes d'une dépression, 3, porteurs de projet professionnels ou personnels résistent à la déprime. A ces chiffres il convient d'ajouter 2 cas de rechute d'alcoolisation, et 3 cas de décompensation psychique;( pour 2 d'entre eux les troubles étaient anciens mais stabilisées, pour le 3° cas c'est à l'occasion de 2 épisodes hallucinatoires que le diagnostic a été posé).

A l'issue de cette période 2/3 des salariés ont été reclassés, pour moitié sur le site et pour moitié dans d'autres entreprises, 1/3 n'a pas été reclassé, 8 ont fait l'objet d'une mise en retraite anticipée, 6 ont été licenciés, nous avons prononcé 3 inaptitudes, 2 d'entre eux sont décédés de cancer dans les mois qui ont suivi, nous avons eu à déplorer un 3° décès parcancer durant cette période.

Il nous a été donné de suivre les 17 salariés reclassés sur le site ainsi que 3 autres reclassés dans des établissements à proximité. Hormis deux d'entre eux, qui ne font état d'aucune séquelle, tous évoquent la prégnance de ce traumatisme dans leur vie professionnelle actuelle, et dans leur vie privée.

Ils décrivent comment tout événement annonciateur d'un changement organisationnel, toute tension sociale viennent réactiver très fortement leur blessure et mettre en péril un équilibre psychologique difficilement conquis.

Pour tous un sentiment de méfiance et de distanciation vis à vis de l'entreprise. Plusieurs seront reçus en consultation et nécessiteront un soutien thérapeutique ponctuel, ou un nouveau changement de poste.

l'approche clinique, aidée en cela par le Dr tell, l'analyse des méthodes organisationnelles et managériales déployées à l'occasion de cette restructuration nous ont amenés à penser que nous étions faces à une situation de Harcèlement Moral de gestion, et que c'est bien la sommation de ces deux facteurs toxiques, que sont la privation de travail et le harcèlement moral, qui sont à l'origine des déstructurations identitaires que nous avons observées.

En déstabilisant, de manière répétée, les salariés lors des entretiens individuels ou collectifs, en dégradant profondément le tissu social, par la rupture des collectifs, l'éloignement géographique, l'individualisation des contrats, en privant les individus de travail, c. à. d. de toute capacité à penser, à agir, et ceci sur un site où l'activité laborieuse était maintenue pour 350 de leurs collègues, l'entreprise à précipité les salariés, dans leur ensemble, dans une crise identitaire majeure.

En terme de harcèlement si l'on se réfère à la définition: " ensemble d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits du salarié, et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel", la situation s'inscrit totalement dans cette définition.

Nous avons, cependant, pu constater quelques différences par rapport à ce qu'il est habituel d'observer dans les cas de HM individuels.

Ce constat aurait pu laisser à penser que le harcèlement moral de Gestion eut été moins dévastateur que le harcèlement individuel, en fait la sommation du de conduites harcelantes et la privation totale de travail sur une longue période ont eu des effets tout aussi délétères.

Je concluerais sur le rôle du MT dans ces situations de grande souffrance, et pour ce qui concerne notre expérience, notre action, en collaboration avec le psychiatre l'infirmière, les partenaires sociaux, a été :

A noter qu'une thèse a porté sur les cas de ces salariés. Elle a été soutenue par A. B….à l' UCLB à Lyon.

Docteur Elisabeth Font-Thiney