Elisabeth Font-Thiney

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Très attachés aux valeurs éthiques et au code de
déontologie qui régit notre
profession, nos interventions
s’inscrivent dans le cadre
très stricte du respect du
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du secret de fabrication
et du secret médical.

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Peut on parler de son travail

Les conflits en milieu professionnel

Cas de restructuration

Point de vue du Médecin du Travail sur les conflits en milieu professionnel

Le point de vue du MT (médecin du travail) est fondé sur les enseignements que nous tirons de la clinique médicale du travail qui met en lien les savoirs sur le travail et les savoir sur la santé

Que nous est il donné d'observer en terme de santé actuellement ?

Que savons-nous de ce qui prédispose à l'émergence de ces types de pathologies nouvelles ?

A l'origine de la souffrance, du stress, des troubles psychosomatiques que nous observons il y a les nouveaux modes d'organisation du travail, dans ce qu'ils complexifient et intensifient le travail, dans ce qu'ils paralysent l'activité, calibrent le geste, enferment la créativité.

Pour Y. CLOT, l'activité déployée par le sujet est un conflit avec le réel.« L'activité n'est pas que ce qui se fait, c'est aussi ce qui ne se fait pas, ce qu'on ne peut pas faire, ce qu'on aurait voulu ou pu faire, ce qu'on ne fait plus, ce qu'on cherche à faire sans y parvenir, (c'est l'échec), c'est aussi ce qu'on fait pour ne pas faire ce qui est à faire, ce qu'on fait sans vouloir le faire, sans compter ce qui est à refaire »

La fatigue, l'usure, le stress se comprennent autant par ce que les travailleurs font, que parce qu'ils ne peuvent pas faire, pas dire, pas penser, et qui fait conflit.

Les effets sont d'autant plus redoutables que les individus, ainsi confrontés aux contradictions et paradoxes portés par l'organisation, ne disposent plus d'occasion de mise en débat du sens de leurs actions, individuelles et/ou collectives

Ph. Davezies a décrit ces conflits :

  • Conflits sur la qualité, conflits entre normes du métier et exigences de productivité et du marché.
    La qualité déterminée par le marché ou la finance ne laisse pas de place à la qualité du professionnel. Les salariés sont en permanence obligés d'en rabattre sur la qualité au nom de l'évaluation des indicateurs de débit, de délais de réponse, de temps d'attente, du chiffre d'affaire. Les salariés évoquent comment ces logiques les amènent à recourir à des pratiques qu'ils jugent honteuses, indignes , avoir le sentiment de travailler en mode dégradé.
  • Conflit sur les valeurs morales et éthiques
    La gestion comptable de l'activité a considérablement ébranlé les repères du vrai, du faux, du juste, de l'injuste, du beau, du bien, du mal. Véritable souffrance éthique les salariés évoquent combien ne pas pouvoir mettre en débat les tiraillements déontologiques de leurs pratiques instaure la méfiance et les confine au silence.
  • Conflits entre engagement et nécessaire distanciation
    L'exaltation de l'excellence, de l'adhésion à la culture d'entreprise, les perspectives de développement personnel entrent en contradiction avec les modes de gestion et stratégies réellement mises en place, stratégies qui soumettent, dénient les investissements, voire les néantisent. Epreuve de réalité pour des individus qui ne sont plus dupes mais restent subjectivement convoqués sur des choix impossibles.
  • Conflits sur l'évaluation individuelle
    Il y a un fossé entre le manager focalisé sur ses indicateurs de gestion et le technicien qui engage son identité sur la qualité de son travail. Les entretiens d'évaluation qui portent sur les capacités adaptatives, comportementales, voire de soumission, sur des critères qui mobilisent la subjectivité du salarié, rendent captive sa capacité mentale à défendre ses intérêts, sa contribution à l'organisation du travail. Cette situation éminemment conflictuelle, culpabilisante, se renouvelle tous les ans avant l'attribution des primes et augmentations de salaire.

L'origine

A l'origine de cette dimension éminemment conflictuelle du rapport subjectif au travail, une mise en tension du monde du travail et une transformation des organisations et modes de management. A cela il convient d'ajouter un autre changement important qui réside dans les exigences plus affirmées des hommes et des femmes quant à la production de sens par leur travail, quant à la capacité de réalisation et d'accomplissement de soi au travail.

  • La mise en tension du monde du travail par :
    • La montée en puissance des logiques financières se sont progressivement imposées au détriment des logiques industrielles économiques et sociales, imposant de nouvelles contraintes et de nouvelles contradictions innaccessibles aux salariés.
    • La montée en puissance des activités et logiques de service, avec un ajustement toujours plus étroit aux exigences du marché et la transformation de la notion de client censé devenir coprescripteur et coévaluateur du service.
    • Le développement croissant de la précarité, CDD, emploi jeunes, soutraitants, intérimaires… qui inscrit autant de disparité dans les contrats de travail que dans les traitements pour une même activité.
    • Les nouvelles technologies qui ont favorisé de nouvelles contraintes physiques, temporelles et cognitives.
  • Les transformations des organisations et modes de management, avec :
    • Le raccourcissement des lignes hiérarchiques avec le "Débrouillez vous" comme mot d'ordre du management. Ce désengagement ne s'est pas traduit par un laisser aller généralisé, il s'est accompagné d'un renforcement des outils de contrôle et de surveillance, réduisant par la même les capacités de manœuvre des opérateurs.
    • L'atomisation des collectifs qui en privilégiant l'individualisme a participé à la dissolution des repères communautaires et la perte des solidarités.
    • Un discours managérial centré sur la communication, la coopération, la responsabilisation, l'initiative, la performance, et qui s'est progressivement distancié des modes réels de gestion du travail.
    • La pression temporelle qui tend à réduire voire écraser les temps de préparation, d'anticipation, de finition, de discussion, d'étude.
    • Les modes d'évaluation centrés sur le sujet et/ou centrés sur l'évaluation quantitative du travail, données comptables de gestion, et occulte la valeur intrinsèque du travail.
    • La psychologisation des relations sociales avec l'irruption du coatching et des méthodes de PNL, Analyse transactionnelle, 360° qui ont pour fonction de prévoir les comportements des individus et de permettre parfois de les manipuler aussi habilement que possible afin de servir des intérêts déterminés.

Parmi les techniques de management observées actuellement

Les techniques d'évitement de conflit qui, par contournement, déplacement, évitement, distorsion de la communication, embuscade ont pour effet d'empêcher toute élaboration de stratégies d'anticipation, de riposte ou de résistance et plongent les individus dans l'incompréhension et le désarroi. La vulnérabilité, la précarité, la méfiance, la suspicion qui s'inscrivent dans les rapports sociaux brisent un peu plus les solidarités, fragilisent les individus et alimentent l'absentéisme. L'absentéisme instrumentalisé comme moyen de protection et d'évitement de conflit lui-même.

A titre d'exemple et pour illustrer la dimension dramatique de ce qui se joue a travers cette réification de l'individu je vais citer le cas d'une société créée au début du siècle et qui emploie environ 200 salariés. Cette entreprise d'origine familiale à été rachetée en 2001 par une autre famille résidente d'un pays européen et le management est confié aux trois fils sous l'autorité du Père, Président Directeur général

Les années 2001 et 2002 vont être centrées sur la rénovation, l'aménagement des locaux qui sont entièrement réhabilités et sur les investissements dans l'achat de chaines de production. Il n'y a pas de réduction d'effectif, et les institutions fonctionnent. La communication est réduite au prétexte de décalages linguistiques et culturels.

Début 2002 le MT est saisi par des employés du service Réglementation, de tensions apparues depuis quelques semaines entre leur chef de service et elles mêmes. Elles dénoncent des conduites de surveillance, de contrôle exercés par le supérieur hiérarchique et assimilées à du harcèlement. Le responsable de service, reçu à sa demande par le MT, évoque sa responsabilité quant aux manquements à la réglementation auxquels il est confronté et les mesures de représailles qui ont suivi son refus de consentir à des actes illicites. Pas de conflit ouvert mais il est privé d'informations, n'est plus invité aux réunions etc… il reconnaît recourir à des conduites inquisitrices vis-à-vis de ses collaboratrices, pour récupérer les informations qui lui font défaut. A bout il demandera au Médecin du Travail de signifier son inaptitude après un arrêt de travail, une prise en charge psycho et chimiothérapique de plusieurs semaines.
Le Médecin du Travail apprendra plus tard que le personnel avait été instrumentalisé par la direction pour témoigner auprès de lui, des agissements de leur responsable, ceci afin de légitimer son exclusion pour harcèlement moral, donc faute lourde et licenciement sec.
Pas de conflit ouvert, des stratégies subtiles d’évitement de conflit visant à se séparer d’un collaborateur jugé un peu trop « zélé ».

Début 2003 un responsable d'unité de fabrication, Mr C. n'ayant aucun antécédent anxio dépressif présente un syndrome dépressif brutal qui justifie un arrêt de travail. Au bout de quelques semaines d'arrêt ce chef de service informe le Médecin du Travail des éléments qui ont participé à sa brutale décompensation, et de son incapacité, définitive à ses yeux, à reprendre une quelconque activité dans l'établissement.
Ce responsable explique comment, selon ses dire, il a "pété les plomb" à l'occasion d'une convocation, sans motif préalable, dans le bureau du PDG. Celui-ci en présence de 2 directeurs lui fait lecture d'un document listant un ensemble de griefs et fautes professionnelles, qui motivent son licenciement. Sidéré Mr C. s'effondre, il ne comprend pas ce qui lui arrive et d'autant moins que, selon lui les rapports avec la direction étaient redevenus cordiaux. "Redevenus" parce que 6 mois au paravent, explique t'il, il s'était opposé à la mise en service d'un produit dont il refusait d'assumer la responsabilité; l'entreprise n'ayant pas les habilitations pour la fabrication de ce type de produit.
A sa demande, Mr C. bénéficiera d'une mise en inaptitude, l'employeur ne s'y oppose pas mais il faudra attendre un jugement prud’homal pour qu'il obtienne, plusieurs mois après, le versement des indemnités dues.
A ce jour, 2 ans après son licenciement Mr C. cadre supérieur n'a toujours pas réussi reprendre une activité professionnelle suivie, il a porté plainte aux prud'hommes et a été reconnu en accident du travail dans le cadre de la jurisprudence du 1° juillet 2003.

Fin 2003 le Médecin du Travail apprend par un de ses confrères que son remplacement est envisagé. Il n'a pas été contacté par la Direction. Les rapports avec la Direction de l'établissement s'étaient tendus dès lors que le MT eut refusé de participer à des procédures visant à réduire l'absentéisme des salariés. Il n'ya pas de conflit ouvert avec le Médecin du Travail, mais des comportements d'évitement et de moins en moins d'information parviennent au cabinet.
Le Médecin du Travail informe le CE de sa situation, la question est à l'ordre du jour d'une séance de CE, il est répondu qu'aucun grief n'était à formuler à son encontre mais que l'honnêteté de son employeur étant suspectée et que cela justifiait un changement de service de médecine du travail. L'argument est mensonger, personne n'est dupe et le Médecin du Travail est maintenu à son poste par l'inspecteur du travail.

A compter de cette période les rapports sont de plus en plus distants, les échanges uniquement par écrit en AR et rédigés par avocats interposés.
Dans les mois qui suivent plusieurs licenciements au service commercial ou en production sont prononcés, toujours de manière imprévisible, il n'y a pas d'avertissements préalables et ipso facto tout accès à l'entreprise est interdit. Les salariés se pourvoient aux prud'hommes, ils obtiennent réparation pour la grande majorité d'entre eux. Ces procédures très déstabilisantes pour les victimes mais aussi pour le personnel instaurent un climat de peur dans l'entreprise.

En Mars 2004 Mr H. victime d'un accident du travail ayant nécessité plusieurs mois d'arrêt est reçu en consultation par le Médecin du Travail pour sa visite de reprise. Le reclassement s'avère difficile, Mr H est un ancien délégué syndical et le chef de service qui dispose d'un poste pouvant lui convenir n'en veut pas. Sur insistance de la Direction Mr H. est finalement affecté à ce poste mais ne lui sont confiées que des tâches subalternes, et les propos tenus à son égard par son chef de service dérivent progressivement, ils pointent l'incompétence, la fainéantise, la malhonnêteté du salarié.
A bout, Mr. H est arrêté 3 mois en maladie par son Médecin pour syndrome dépressif. Toujours suivi et sous traitement Mr H. reprend son activité début novembre 2003, son responsable le convoque et le menace "d'avoir sa peau". Paniqué Mr. H. se présentera le lendemain, dans le cabinet médical armé d'une carabine, décidé à en finir "pour leur montré jusqu'où il (parlant de son chef) l'avait poussé". Par persuasion Mr. H renonce à son acte et avec le Médecin du Travail rencontre la direction avec qui il peut enfin évoquer les relations difficiles que lui impose son responsable. Mr. H. sera arrêté 3 mois, suivi en psychothérapie et mis sous traitement.

Le Médecin du Travail alerte par écrit l'employeur sur le degré de détérioration de la situation de travail de Mr.H et des effets sur sa santé et lui demande de bien vouloir mettre en œuvre les moyens de prévention de tout risque de récidive. Il n'y a pas eu de réponse de l'employeur.
Trois mois après Mr. H est revu en consultation pour sa visite de reprise, son aptitude à temps partiel est actée. Mr H. est revu 15 jours après par le MT, il explique qu'il est affecté dans un bureau vide, qu'il n'a rien a faire de toute la journée et qu'il n'en peut plus.
Le Médecin du Travail alerte à nouveau l'employeur par écrit, rédige un certificat médical et demande une réunion où en présence de la direction, du chef de service, d'élus, du service médical et de Mr. H la situation de celui-ci est évoquée.
A l'issue de celle-ci la Direction laisse entendre qu'elle mettra tout en œuvre pour que Mr H bénéficie d'une formation adéquat et qu'elle sera vigilante sur la qualité des relations hiérarchiques.

Par la suite Mr. H a porté plainte aux prud'hommes, le Chef de service à déposé, lui, une plainte contre le Médecin du Travail au Conseil Départemental de l'Ordre. Débouté il se pourvoira au Conseil Régional où il vient à nouveau d'être débouté.

En Avril 2005 Mr H. est muté dans un autre service et son ancien responsable est licencié après négociation.

Depuis le silence règne, seulement troublé par des licenciements réguliers, imprévisibles, des mises à pieds brutales sans motif invoqué, qui intimident et qui sèment la terreur.
Pas de conflit ouvert, pas de mouvement de grève, le personnel dit se taire, s'épier, se méfier, il évoque, dans le cabinet médical, le climat détestable de suspicion, de délation qui s'est installé. Les récits sont parcourus par les ressentis d'humiliation, de mépris, d'indignité, auxquels les renvoie une direction qui apparaît toute puissante.

Le procès de Mr H a eu lieu il y a quelques semaines. La défense de l'employeur, par un déplacement subtil du différent transforme le désaccord qui opposait Mr H à son employeur en un désaccord entre l'employeur et le Médecin du Travail qui "instrumentaliserait" les salariés dans une croisade personnelle contre l'employeur. Le débat sur les agissements transgressifs du Code du Travail est occulté, l'attention du jury est détournée de l'objet du litige, et le salarié dépossédé de son histoire et d'un légitime recours en réparation. Les conséquences psychologiques sur le salarié sont dévastatrices, Mr. H est de nouveau en arrêt de travail.

Sur un plan plus général la judiciarisation de la profession peut être aussi assimilée à un mode de contournement et de déplacement de conflit qui permet :

  • d'occulter les questions de fond : celles de la santé du salarié et de la dimension pathogène de certaines organisations
  • de faire payer au médecin son indépendance professionnelle et son souci exclusif de la santé du salarié
  • de tenter de le disqualifier non pas sur son exercice de la médecine du travail mais sur sa qualité de médecin
  • de faire pression sur les autres médecins du travail en agitant l’épouvantail de la justice ordinale

Au niveau de l'entreprise ces modes de management silencieusement toxiques, dans ce qu'ils mettent à mal l'éthique, déstructurent les rapports sociaux ; dans ce qu'ils soumettent, réifient, privent d'identité, déstructurent les individus. En n'accèdent pas au débat dans l'entreprise ils échappent à la sanction sociale, à la prévention n'y a-t-il pas là, pour l'homme au travail, un risque encore plus grand que celui encouru par un conflit qui dirait son nom ?.

« Le conflit et la conflictualité dans le soin psychique » est le thème de ce congrès, au travail la question reste posée quant à la conflictualité potentielle d’un management ayant pour objet l’évitement de conflit et qui de fait est évitement de l’autre ; cela nous amène à penser que le conflit a sa légitimité dans le soin qui reste avant tout une activité centrée sur l’autre, « l’autre comme moi-même » E. Lévinas.

Docteur Elisabeth Font-Thiney